Enseignant et novice

De retour à Auxerre, il est nommé à 16 ans professeur dans les petites classes du collège militaire qu'il vient de quitter. Ayant du temps libre, il commence une recherche personnelle en mathématiques et s'attaque à un problème alors en vogue chez les savants, celui de la détermination des solutions des équations algébriques ; cette question l'intéressera d'ailleurs toute sa vie.

Il semble que ce poste ne pouvait être que temporaire, car bientôt, en 1787, il doit opter pour une vraie carrière. Il voudrait devenir officier dans l'artillerie ou le génie, comme l'y portent ses goûts pour les mathématiques et l'enseignement qu'il a reçu. Mais cette carrière est réservée aux fils de nobles. Une dispense est demandée pour un élève aussi brillant ; le grand savant Legendre lui-même plaide la cause de Fourier auprès du ministre de la guerre. Rien n'y fait : Fourier, n'étant pas noble, ne pourrait entrer dans l'artillerie, quand [bien même] il serait un second Newton. A cette époque, c'était le rouge ou le noir. Il doit donc se rabattre sur le noir et entre comme novice dans une abbaye bénédictine, celle de St-Benoît-sur-Loire (30 km à l'est d'Orléans). En fait, ce choix revenait à faire celui de l'enseignement. [1]


L'abbaye de St-Benoît-sur-Loire

En cette fin de siècle, celui des Lumières, le recrutement des postulants à la religion est médiocre. Les moines ne sont qu'une dizaine à St-Benoît et leur vie, peu ascétique, est ouverte sur l'extérieur et sur les études. Les novices, plus nombreux, sont traités un peu plus durement, mais sans rigueur extrême. Il y a également des élèves - l'enseignement y est gratuit - et Joseph est vite chargé des cours de mathématiques pour les élèves et pour les novices.

Très loyal – ce sera un trait essentiel de son caractère – il se prépare aux ordres dans le calme, le silence et l'étude et veut ignorer l'agitation qui gagne la France à cette époque (1788). Il regrette seulement son isolement du monde scientifique et son manque de livres. Dans une lettre à son ancien professeur d'Auxerre, M. Bonnard, devenu collègue et ami, il écrit : souvent, de fuir les hommes on devient meilleur, mais non plus savant ; le cœur y gagne et l'esprit y perd... Je m'occupe un peu de grec ; vous croirez bien que c'est plutôt pour lire Euclide et Diophante que Pindare ou Démosthène... et une autre fois, le 22 mars 1789 : ... Hier, j'ai eu 21 ans accomplis. A cet âge, Neuton et Paschal avoient acquis bien des droits à l'immortalité.

Fin 1789, l'Assemblée nationale confisque les biens de l'abbaye et offre la liberté aux abbés ; toujours très respectueux de la loi, Fourier quitte le noviciat et regagne Auxerre. Pensant avoir accompli une œuvre originale en mathématiques, il cherche à faire connaître son travail aux grands savants que sont Legendre et Monge. Il va à Paris présenter un mémoire sur les équations algébriques devant l'Académie des sciences. Lagrange y assiste. Le travail est jugé encourageant, mais peu novateur, le sujet était beaucoup débattu à l'époque. Il s'agissait des équations du 4e degré, déjà étudiées par Cardan et d'autres ; on savait obtenir des solutions approchées, mais Fourier recherchait une méthode générale.

En 1790, on le retrouve enseignant à l'école militaire d'Auxerre. Toujours aussi indifférent à la politique, il crée en avril avec des amis une société d'émulation littéraire et artistique, dont la devise sera Querunt (ils cherchent). Il en est même au début le président, puis se fait évincer. Il présente des communications sur des savants (Franklin, Newton) ; la société résout quelques problèmes pratiques posés par les autorités locales, mais elle a, malgré tout, une existence éphémère (2 ans).


Les quais de l'Yonne et l'abbaye St-Germain [2]

En 1792, l'école militaire d'Auxerre est désorganisée. De nombreux bénédictins enseignants sont partis, l'argent manque, les locaux sont délabrés. Elle est transférée dans l'abbaye St-Germain à Auxerre. Joseph – qui est appelé abbé Fourier et porte l'habit ecclésiastique – assiste de très près son directeur dans le remaniement du plan des études de la nouvelle école : le latin y perd encore de l'importance, les sciences en gagnent, ainsi que le français, les langues vivantes, l'histoire, la géographie... Il introduit la cosmologie. C'est d'ailleurs lui qui l'enseignera et se chargera de nombreuses autres disciplines, tout en étant mal payé. Il est acquis aux idées révolutionnaires, mais plutôt par loyalisme ; il n'est pour l'instant pas militant.


Notes
1. Bonaparte, qui avait suivi la même formation, était considéré comme noble. Il a donc pu devenir officier.   Retour au texte
2. Photo Loverless, Wikipedia.

Page précédente Page suivante