Jacques-Joseph Champollion (1778-1867)
(l'autre Champollion)

Le père des Champollion, Jacques, était né probablement à la Roche en 1744 dans le Valbonnais, en Dauphiné. Ne trouvant pas de travail sur place, il se fit colporteur, vendant des livres, des images en se dirigeant petit à petit vers l'Ouest. Sa route s'arrêta à Figeac en 1773 où il se maria avec Françoise Galieu et fonda une librairie, place Basse. Sept enfants leur naquirent, dont 5 survécurent. Le quatrième, Jacques-Joseph, après des études chaotiques dues aux désordres de la Révolution, voulut, en 1798, s'embarquer pour l'Egypte avec Bonaparte. Evincé, il reflua d'abord vers Beaucaire chez des cousins, puis vers le Dauphiné de ses aïeux, se fit embaucher par un autre cousin négociant à Grenoble (maison Chatel, Champollion et Rif) et loua un appartement dans la Grand-rue.

Carrière grenobloise


Famille Jacques Berriat Saint-Prix,
ami et beau-frère des Champollion,
(cliquer pour agrandir).
Dynamique, Jacques-Joseph – qui se fait appeler Champollion-Figeac – avait acquis suffisamment d'aisance financière pour s'adonner à sa passion, l'amour des belles lettres, des livres, des inscriptions anciennes et des antiquités égyptiennes. Il s'était constitué petit à petit une riche bibliothèque et une belle collection de médailles. Son négoce lui permettait de disposer d'un réseau de connaissances qui l'aidaient dans sa recherche de belles pièces. Il acquit vite une réputation de bibliophile, d'humaniste, de libéral et de libre-penseur. Il devint l'ami des lettrés grenoblois et, en particulier, des Berriat, dont il épousera la fille Zoé en 1807. [1]

Dès 1801, il avait fait venir à Grenoble son jeune frère Jean-François, qu'il éduquera lui-même et épaulera toute sa vie (voir page suivante).


Eglise St-Laurent à Grenoble.
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Il a entretenu longtemps une correspondance fructueuse avec Millin, conservateur des antiquités à la Bibliothèque nationale à Paris. Elu membre de la Société des sciences et des arts de Grenoble [2] en 1803 (il a 25 ans), il présentera à cette occasion une communication sur ses découvertes paléo-chrétiennes dans le sous-sol de l'église St-Laurent à Grenoble (on croyait jusqu'alors qu'il s'agissait d'un temple païen). Elle sera suivie de beaucoup d'autres et Champollion-Figeac deviendra secrétaire de ladite société dès 1805.

En octobre 1802, le préfet Fourrier écrit à Champollion pour lui demander de sauvegarder les inscriptions que la démolition de l'évêché mettait à jour, puis de relever toutes celles qu'il trouverait dans Grenoble (il en relève 35). Jacques-Joseph est dès lors invité – ainsi que bientôt son jeune frère – aux soirées de la préfecture. Il devient un collaborateur de plus en plus apprécié par le préfet, un véritable secrétaire, non seulement pour les belles-lettres, mais aussi pour ses recherches scientifiques. On a même pu dire qu'il fut le seul véritable ami de Fourier. Leur relation fut traversée certes par quelques nuages, comme, en 1812, lors de son limogeage du poste de rédacteur en chef, mais ils ne se brouillèrent jamais.

Fourier lui facilitera l'accès à des situations importantes. Autodidacte fort peu diplômé, Champollion-Figeac sera bibliothécaire adjoint de la ville en 1808 et rédacteur en chef du très officiel journal, les Annales du département de l'Isère ; l'année suivante, il sera professeur de littérature grecque à la Faculté des lettres nouvellement créée, membre de la commission d'examen à l'école militaire en 1810 (président en 1811), puis conservateur en chef de la bibliothèque de Grenoble et doyen de la Faculté de lettres (1812). En 1813, il se retire à Valjouffrey dont il est élu maire (c'est probablement le village natal de son père) et se voit nommé membre correspondant de l'Institut de France (1814). Mais la Roche tarpéienne est près du Capitole.

Revers de fortune

En 1814, il se rallie ouvertement aux Bourbons. Peut-être parce qu'il craignait une purge, il se renie, vante l'utilité de la censure, devient royaliste (modéré) et courtisan ; il réclame même son ancien poste de rédacteur aux Annales. Sous la première restauration, il conserve ses fonctions d'enseignant et de bibliothécaire (son frère conserve les siennes ; il n'y a pas de répression). En mars 1815, nouveau revirement : Jacques-Joseph se rallie à Napoléon dès son arrivée à Grenoble au retour de l'île d'Elbe, lui sert même de secrétaire pendant quelques jours et arrange la réconciliation entre Fourier et l'ex-empereur. Ce dernier le charge de seconder le nouveau préfet de l'Isère, très inexpérimenté. Mais il se fait élire aux Etats de mai et s'en va à Paris. Après Waterloo, il revient à Grenoble, en proie aux représailles (c'est la terreur blanche). Bien que surveillé par la police, Champollion commet l'imprudence de cacher un général bonapartiste condamné à mort et Jean-François affiche ouvertement ses sentiments républicains. Les deux frères sont arrêtés, destitués de toutes leurs fonctions, expulsés de l'Isère en mars 1816 et exilés à Figeac.

Les difficultés financières se font vite sentir. Leur père boit ; sa librairie se porte mal et la saisie menace, les disputes sont courantes. Malgré tout, les deux Champollion sont bien accueillis dans la bonne société de Figeac. Jacques-Joseph s'intéresse aux sites archéologiques locaux et découvre même les vestiges d'un village gallo-romain (Uxellodunum) à Capdenac. Les deux frères créent également à Figeac une société d'enseignement mutuel. A Grenoble par contre, leur position s'aggrave : Jacques-Joseph est accusé d'avoir mal géré la bibliothèque (disparition de livres) et destitué de sa fonction ; il sera réhabilité en 1819, mais démissionnera. Le préfet du Lot et son sous-préfet à Figeac n'hésitent cependant pas à faire sur les Champollion des rapports élogieux. Finalement, l'assignation à résidence est levée en avril 1817.

Deuxième souffle à Paris

Champollion-Figeac – qui a très mal supporté cet exil – ne tient pas à retourner à Grenoble et choisit Paris. Il rend des services à Dacier, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et des Belles lettres et en devient peu à peu son secrétaire personnel, un secrétaire de plus en plus indispensable, ce qu'on appellerait aujourd'hui un nègre. Il était membre correspondant de ladite académie, mais il n'y sera jamais élu, sans doute pour des raisons bassement politiciennes, malgré l'appui de Dacier et quatre tentatives de sa part (1820, 24, 28). Signalons qu'ayant concouru en anonyme sur un sujet proposé par l'Académie relatif à la chronologie d'une dynastie égyptienne, il remporte le premier prix. L'anonymat est parfois utile.

Son frère Jean-François, qui, lui, avait choisi le retour à Grenoble, le rejoint en 1821 après une grave mésaventure. Pendant que ce dernier travaille sur les hiéroglyphes, Jacques-Joseph, soutenu par Dacier, se lance sur de nouvelles pistes : en 1821, il propose de classer les chartes de la bibliothèque royale et se met au travail ; il sera révoqué dix-huit mois plus tard, toujours, semble-t-il en butte aux intrigues royalistes facilitées par les nombreux changements de ministres. Il essaie également d'éditer les œuvres manuscrites du précédent secrétaire de l'Académie (8 volumes), mais là encore, des cabales l'empêchent de mener le travail à son terme. Il collabore également comme rédacteur à deux revues savantes de tendances politiques opposées (la Revue encyclopédique et le Bulletin universel des sciences et des arts). Mais, pendant toute cette période (1817-1828), tous ces emplois sont en général éphémères et les ressources financières de Champollion-Figeac mal assurées.

Sa situation va s'améliorer, spécialement sous Louis-Philippe, dont il a peut-être facilité l'ascension sur le trône en déjouant un complot bonapartiste. Entre temps, son frère était devenu célèbre (1822), ce qui arrangeait bien les choses. En 1826, le gouvernement demande à Jacques-Joseph de recommencer à classer les chartes. Deux ans plus tard, il est nommé conservateur à la Bibliothèque royale (actuellement la BNF), directeur du département des Manuscrits et professeur à l'école des Chartes, qu'il contribuera à refonder totalement en 1830. Il sera également membre de plusieurs académies étrangères. En ce qui concerne le classement des manuscrits, il en fait un rapide inventaire : un million de documents – souvent abscons – sont à analyser et à classer ; il demande douze employés, ce qui lui est accordé ; mais leur travail ne sera pas à la hauteur du projet ; leur nombre décroîtra vite avec la diminution des crédits et l'œuvre restera inachevée (un quart seulement des archives étaient classées en 1846).

Déboires

Entre temps, sa vie familiale s'était assombrie avec, en 1832, la mort de son frère Jean-François, auquel il était très attaché. Ce fut pour lui un gros choc et il servira sans répit sa mémoire, après avoir été, selon ses propres dires, tour à tour son père, son maître et son élève, puis un assistant précieux, corrigeant avec bonheur les écrits d'un Jean-François resté quelque peu brouillon. Champollion-Figeac avait eu des enfants doués [3 à 6 selon les documents, Ali, Aimé, Jules, peut-être aussi Amélie, Paul, Zoé ?] ; il leur assure de bonnes études, l'un à l'Ecole des chartes (Aimé[3]), un autre à l'Ecole des mines, un autre à Polytechnique (il deviendra officier d'artillerie).

Nouveau virage dans sa carrière. La révolution de 1848 le jette à la rue en le destituant de tous ses emplois ; il est même expulsé de son appartement de fonction et va chercher asile avec sa femme chez son fils. Le nouveau pouvoir le poursuit en justice comme dilapidateur des biens de la Bibliothèque nationale (il est vrai qu'il n'avait pas été toujours méticuleux et que beaucoup d'ouvrages avaient disparus – on a parlé de 50 000 ! – surtout par manque de scrupules chez les emprunteurs). Il doit également se justifier d'avoir donné à son fils un poste à la BN sans qu'il ait eu les diplômes requis. Enfin, une perquisition trouve chez lui un grand nombre d'ouvrages appartenant à la BN et des manuscrits provenant de son frère ; ses accusateurs soutiennent que l'Etat les avait achetés à la veuve de Jean-François. Il est donc accusé de vol et se justifiera difficilement de ces emprunts à trop long terme. Il obtient d'abord un non-lieu, mais un nouveau procès l'oblige à donner à l'Etat les manuscrits de son frère. Privé de ressources, il doit vendre une partie de sa précieuse bibliothèque personnelle.

Fin de vie

Il réussit à trouver un emploi subalterne au château de Fontainebleau. En 1852, à 74 ans, après le coup d'état de Louis-Napoléon, Jacques-Joseph obtient le poste de conservateur de la bibliothèque de ce château. Commence alors pour lui une semi-retraite dorée, mais studieuse, car il rédigera beaucoup d'articles. Les deuils s'accumulent. Sa femme Zoé meurt en 1853, ses trois fils entre 1864 et 66. Il lui reste une fille (Amélie ?), qui s'occupe de lui jusqu'au bout, et une petite-fille, Elisabeth. Il s'éteint le 9 mai 1867 à 89 ans. Selon certains auteurs, de nombreuses personnalités l'accompagnent au cimetière du Père Lachaise, où se retrouvent côte à côte les trois amis, Fourier et les deux frères Champollion. Il semble plutôt qu'il ait été enterré à Fontainebleau.

Jacques-Joseph Champollion fut probablement le premier en date des archéologues et des historiens scientifiques de Grenoble. Il a laissé de nombreux ouvrages, dont les premiers ont été écrits à la demande du préfet Fourier. En voici quelques titres :


Notes
1 - Maison Champollion. La femme de Jacques-Joseph lui avait apporté en dot une maison à Vif à 15 km au sud de Grenoble. Il y venait l'été. Son frère y a été beaucoup hébergé. Cette maison existe toujours et vient d'être achetée par le Conseil général de l'Isère pour en faire un haut lieu de l'égyptologie. Elle avait appartenu auparavant au père des philosophes Condillac et Mably.           Retour au texte

2 - La Société littéraire créée en 1772 (cf. note en bas de la page Préfet) fut reconnue comme telle en 1780 par ordonnance royale, puis comme Académie delphinale en 1789. Son premier secrétaire perpétuel a été Henri Gagnon, grand-père de Stendhal. Elle traversa sans dommage les vicissitudes de la Révolution, même si, pour obéir à Paris, elle dut plusieurs fois changer de nom (en 1792, Société des amis - puis Lycée – des sciences, arts et belles-lettres de la commune de Grenoble, puis Société des sciences et des arts de 1802 à 1844). Fourier ne participa qu'irrégulièrement aux séances ordinaires (2 par mois), mais activement aux séances publiques (une par an). Il fut élu président (ou président honoraire selon d'autres sources) de la société en 1805 et, dans son discours, fit un éloge de la science et des découvertes récentes spécialement en astronomie (ladite société était, malgré tout, assez peu scientifique). Le préfet, décidément peu ordinaire, fera ensuite à ladite société une communication très brillante sur la mécanique d'Euler, grâce à un manuscrit de ce dernier prêté à Fourier par JJ. Champollion.           Retour au texte

3. Aimé est l'auteur des Chroniques dauphinoises, ouvrage riche en témoignages sur la période qui nous intéresse, ainsi que du livre Les deux Champollion.          Retour au texte


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