La disgrâce

Début 1814, l'armée autrichienne, commandée par Bübna, est à Genève puis à Annecy. Le Dauphiné est menacé. Il n'y a que peu de troupes à Grenoble (2000 hommes) et Fourier prévoit d'évacuer vers Gap les ressources militaires. La défense de la région est coordonnée par un commissaire envoyé par le gouvernement, St-Vallier, dont l'adjoint est Stendhal (ce sera la seule occasion où Fourier et Stendhal se rencontreront, voir la page homme). Les Autrichiens prennent Chirens le 28 mars, Voreppe le 2 avril et, le 11, menacent Grenoble. L'attaque est épargnée par l'abdication de Napoléon le 12. Les troupes entrent alors sans combat à Grenoble ; le général Marchand les reçoit (l'occupation ne durera que 38 jours). Fourier adresse aux maires des instructions à la population pour soutenir le nouveau pouvoir. Comme le peuple, il est las de ces guerres continuelles et des réquisitions ; il préfère la paix retrouvée.

Pour lui, la page est tournée. Ne souhaitant pas rencontrer Bonaparte en partance pour l'exil, il manœuvre pour qu'il ne passe pas par Grenoble, mais par la vallée du Rhône. Il y parvient à son grand soulagement. Mais son ami Champollion-Figeac reste fidèle à Napoléon et voudrait que Fourier parte le rejoindre à l'île d'Elbe. Il n'en fait rien, s'occupe de la démobilisation et reste préfet.

Le 1er mars 1815, Bonaparte quitte l'Ile d'Elbe et débarque en Provence, au golfe Juan. Il se dirige vers Paris via Grenoble. Le 7, il est à la Mure ; la troupe envoyée pour l'arrêter se rallie à lui à Laffrey. Les autorités organisent la défense. Le 5 mars, Fourier avait lancé une proclamation : Nous invitons les citoyens ... si quelqu'un pouvait oublier que son premier devoir est d'obéir aux autorités, ... il sera arrêté sur-le-champ et puni sévèrement ... Tout attroupement ... est de nouveau expressément défendu et sera dissipé par la force armée... Cela n'empêche pas le préfet de faire préparer à l'hôtel des Trois dauphins une chambre pour Bonaparte. Mais refusant de l'accueillir, il quitte Grenoble pour Lyon tout en lui laissant une lettre dans laquelle il explique son attitude, son souci du devoir et son obéissance aux autorités légales.

Le 9 mars, à Grenoble, Napoléon le destitue. Champollion-Figeac, alors doyen de la faculté de lettres, sert de secrétaire à Napoléon pendant son séjour à Grenoble. Il veut réconcilier ces deux grands hommes et leur ménage une entrevue à Bourgoin. Napoléon formule des reproches à Fourier, mais il le nomme comte et préfet du Rhône (11 mars). L'embellie est de courte durée ; le nouveau régime lui demande de procéder à des épurations ; il refuse. Il est révoqué le 3 mai.

Après Waterloo, le roi Louis XVIII prive l'ex-préfet de toute fonction officielle et de tout traitement. Fourier fait une demande de pension qui lui est refusée avec brutalité. Il doit vivre sur sa très maigre fortune (20 000 F) et songe à émigrer en Angleterre. Ses amis Champollion sont, eux, en résidence surveillée à Figeac. Fourier n'a auprès de lui que son fidèle serviteur, prénommé également Joseph (ce dernier restera avec lui jusqu'à sa mort).

 

Donné à Grenoble le 9 mars 1815

NAPOLEON par la grâce de Dieu et les Constitutions de l'Empire, EMPEREUR DES FRANCAIS, etc.etc.etc.
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
ART. Ier
Le Préfet du Département des Hautes-Alpes est destitué. Le Préfet du Département de l'Isère est suspendu de ses fonctions ; l'un et l'autre sont tenus d'avoir évacué le territoire de la 7e Division militaire dans l'espace de cinq jours, sous peine d'être arrêtés et traités comme ennemis de la Nation.
ART. II
Le grand Maréchal, faisant office de Major-général de la Grande-armée, est chargé de l'exécution du présent décret.
Signé NAPOLEON
Par l'Empereur :
Le grand Maréchal, faisant fonction de
Major-général de l'armée.
Signé BERTRAND
 

Heureusement, l'un de ses anciens élèves de Polytechnique, Chabrol de Volvic, vient à son secours. Il est préfet de la Seine et offre à Fourier le modeste emploi de directeur du bureau des statistiques de la préfecture. Fourier accepte et collectera des faits sociologiques avec zèle et constance ; il publiera ces données en 4 volumes en 1821, 23, 26 et 28, avec, pour titre, Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine. Des études, de plus en plus mathématiques, mais toujours très simples suivent l'énoncé des faits. Il ne s'agit pas d'innovation, mais d'application et de vulgarisation de notions connues.

Toutefois, il n'oublie pas la science. En 1816, il publie un article de 26 pages dans les Annales de physique et chimie intitulé Théorie de la chaleur. Cette publication lui attire une polémique avec Poisson, qui travaille sur le même sujet : ce dernier a utilisé des travaux antérieurs de Fourier non encore publiés sans lui en rendre justice. Notre savant s'en plaint à Laplace, mais il n'envenime pas le conflit, sachant qu'il détient la vérité et qu'elle éclatera un jour ou l'autre.


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